Sud Ouest – l’alambic y est roi

12 Avr 2011


L'alambic y est roi


Jean-Manuel Géral dirige la distillerie Rémy Piron, qui fait tourner 12 alambics de 25 hl. Photo ph. M.

La commune compte quatre bouilleurs de profession et près de 100 chaudières

Un alambic pour cinq habitants : telle est l’étonnante statistique atteinte par la petite commune d’Angeac-Champagne. L’histoire a fait de ce village de 500 habitants, au cœur de la Grande-Champagne, une petite capitale des bouilleurs de profession.

Ce métier s’est développé après guerre, accompagnant l’essor du cognac. Les viticulteurs distillant leur production à domicile, répondant au qualificatif de « bouilleur de cru », ne suffisaient plus à alimenter la machine. Les bouilleurs de profession, des structures alignant une batterie d’alambics, servent d’intermédiaire entre la viticulture et le négoce de cognac. Ils sont aujourd’hui une centaine, distillant environ les deux tiers de la production.

L’impulsion de Rémy Martin

À Angeac-Champagne, la distillerie Boinaud fait tourner une quarantaine de chaudières, celle du Vieux-Chêne une douzaine, la distillerie Rémy-Piron 12 et Réchon 10. Soit près de 80 alambics, auxquels il faut ajouter ceux des bouilleurs de cru, près d’une centaine au total pour une commune de 500 habitants.

Le nombre de distillateurs de profession y est monté à huit. Les sociétés Loret, Julien, Barraud et Frapin ont disparu. « Cela s’explique par les liens avec André Renault, propriétaire du cognac Rémy Martin. Il était de la région. Il a eu besoin de marchandise dans les années 1950, 1960, quand la marque s’est développée. Il connaissait des gens sur le village qui ne demandaient que ça », avance Lucette Barbera. Son père, Rémy Piron, était de ces viticulteurs dont l’esprit d’entreprise se retrouve dans leur investissement au sein de l’interprofession ou de la coopérative Champaco. Bouilleur de cru, il releva le défi en 1950. Lucette Barbera a pris le relais de 1975 à 2007, avant de transmettre l’affaire à son gendre, Jean-Manuel Géral.

Un rôle de conseil

Après un début de carrière dans la finance, ce Charentais s’est réorienté dans le secteur viticole, au sein de la tonnellerie Radoux puis à la tête de la coopérative la Maison des Maines, à Segonzac, de 2003 à 2007. Sous son impulsion, la société s’est élargie à des clients autres que le partenaire historique, Rémy Martin. Elle travaille avec 120 livreurs, et possède une autre entité qui exploite 85 hectares de vignes, des céréales et des chênes truffiers.

La corporation, qui cultive la discrétion, est parfois décriée. « On nous montre toujours du doigt en disant qu’on pratique des tarifs élevés. Mais nos marges sont faibles. On est obligé de réinvestir beaucoup, avec des mises aux normes coûteuses, et on a nombre de charges fixes. Aujourd’hui, que l’on ait six ou douze alambics, il faut trois distillateurs. Le prix du gaz est monté de 25 % le 1er janvier. Quand un viticulteur me dit qu’il veut monter un alambic, je lui dis : « Si tu le fais parce que tu aimes le produit, tu as raison, mais pour des raisons économiques, je ne suis pas sûr. » »

Jean-Manuel Géral défend la complémentarité des deux modes de production. Dans les périodes de crise, les bouilleurs de profession jouent un rôle de tampon. Au quotidien, ils apportent du conseil et relaient les attentes du négoce. « Ils veulent de l’homogénéité dans la façon de distiller, et recherchent de la diversité chez les bouilleurs de cru. »